aerial photography of building near trees

Le Sang sur la Neige

Envoyé en disgrâce à Landébrumes, le Commandeur Adréland a nettoyé la corruption par le fer et la corde. Mais la vengeance a pris l'habit du pèlerin, et le sang coule désormais dans les couloirs de la Pardonnerie.

Le coup, d'une violence inouïe, arrache le mézail du bassinet porté par le combattant, la puissance de l'impact le projetant, par là même, au sol. Le Commandeur Adréland se dit qu'il avait connu des jours meilleurs, alors qu'il le froid du sol, et son humidité, contre lui. L'escogriffe qui vient de le frapper, un colosse qui doit tutoyer les sept pieds de haut émet un gloussement répugnant s'assurant une prise en main plus ferme sur la masse qu'il tient dans la main, bout de bois paraissant ridicule au creux de son énorme paluche. La brute a dû abandonner le maniement de sa bardiche préférée, après avoir perdu l'usage d'un bras, pendant stupidement à son côté, rendu utilisable il y a plusieurs hivers de par une simple infection, suite à la morsure… d'un lapin (rassurez-vous pour notre brigand, l'imprudent lagomorphe fut employé par ses soins comme dîner tout de go).

Tout cela, le Commandeur l'ignore, mirant son épée lui ayant échappé, trop loin pour qu'il ne puisse s'en emparer prestement, et au moins dévier ce qui ne va pas manquer de lui arriver sur la figure (déjà vilainement tuméfiée) d'ici un instant. S'égarant une seconde, il repense prestement à comment il en est arrivé là, laps de temps qui, s'il a l'air de durer davantage, ce qui n'est heureusement pas le cas pour lui.

L'arrivée à Landébrumes

Adréland a été envoyé à Landébrumes il y a déjà… un moment qui lui paraît une éternité, à bien y réfléchir. Il a plus ou moins succédé à la Commandeure Triovéros, qui a bravement succombé face à l'ennemi. Enfin, ça, c'est la version officielle : de fait, son cheval s'est emballé, et elle s'est brisée le coup en chutant de ce damné canasson. Adréland, alors affecté à Mille-Lumières, venait de commettre une faute, mineure aux yeux de beaucoup, d'une importance gravissime pour ceux contrariés par sa langue n'hésitant pas à cracher la vérité. Alors Paladin, les hautes instances décidèrent donc de lui donner une "promotion", et l'envoyèrent donc servir les Jumeaux dans cette région perdue. Son erreur, connue par tous, lui valait la confiance des plus grands, et l'inimitié des perfides. Qu'à cela ne tienne, il ferait avec !

Remettre de l'ordre

A peine entré en ses fonctions, Alphonse, de son prénom, commença à remettre de l'ordre. La Pardonnerie était mixte : si cela n'apparaissait pas comme prohibé, lorsque l'on met de jeunes gens qui partagent la même passion ensemble, et qui vivent les uns à côtés des autres, de nombreux problèmes successoraux finissent par survenir. Le Prévôt, espèce de responsable qui gérait la partie civile de l'institution, recueillait alors des orphelins, certains ressemblant beaucoup trop aux Paladins et aux Répurgateurs. Adréland se mit alors à congédier sèchement une partie de ses subordonnées, les envoyant vivre avec leur progéniture à Mille-Lumières, ce qui commença à faire jaser. Constant que les murailles du lieu ne se dressaient ce jour d'huy que dans l'imagination des locaux, il tenta alors d'embaucher des maçons… et réalisa qu'une bonne partie d'entre eux avait déjà été payée pour faire ce travail.

Le Commandeur dût donc se rendre à Les Taupes, l'infâme village jouxtant la forteresse, afin que les commandes soient honorées. Non seulement les locaux ne lui témoignèrent guère de respect, mais on essaya même de le faire régler une deuxième fois ! Furieux, le soldat sacré demanda à voir le chef du hameau, et on lui amena un vieillard chenu. Comprenant que la parole des Jumeaux devait faire preuve d'un peu plus de fermeté, il revînt donc avec une escouade des plus fidèles (et moins feignants) de ses subordonnés. Se mettant en tête de faire appliquer les accords passés, l'on commença à molester les villageois, leur rappelant aussi qu'il n'avait pas payé les taxes dûes à l'église depuis des années. Sans grande surprise, en restaurant les caves et les greniers, les hommes d'armes découvrirent nombre de caisses et de sac contenant de l'alcool de contrebande, du sel non déclaré, et nombre d'autres produits de luxe qui transitaient dans la région, à la barbe non seulement de la Pardonnerie, mais aussi des Seigneurs du cru.

Justice et représailles

Un lit de justice des plus violents eut lieu, résultant sur plusieurs pendaisons. Les locaux cachaient plusieurs criminels connus, et Alphonse se justifie auprès du pouvoir temporel après coup : il ne doutait pas qu'on se soucierait pas de s'être débarrassé de fredains. Cela lui vaudrait nombre d'inimitiés, il en était conscient, mais se laisser ainsi développer la corruption n'aurait pas lieu sous son égide. Certes, les siens se montraient toujours prêts à servir autrui mais tant fallait-il qu'une relation de confiance aille dans les deux sens, et à Les Taupes, le lien se voyait souillé depuis trop longtemps. Le Poing du Pardon ne portait pas un tel nom pour rien, après tout !

Les réactions violentes ne tardèrent pas à se manifester : alors que la région devait être sûre, des bandes d'histrions, connu sous le nom de Furets (ou de Fouines, ou de Rats, à force, Adréland s'y perdait, il y avait déjà le nom de ce bourg, qui n'avait aucun sens, et maintenant l'herpaille qui se dotait de sobriquets ridicules). La populace se montrait complice, mais la Pardonnerie ne fermerait pas les yeux. On attrapa les gens de sac et de corde, les pendant par les pieds, et ouvrant leur panse alors qu'il gigotait encore, vidant leur contenu dont s'élevait une fumée chaude sur la neige rougie. Ce genre de supplice se voyait, d'habitude, réservé aux traîtres, mais Alphonse comptait assimilait les actions menées par les voleurs depuis des années à un tel comportement. Interrogatoire de la population locale, montage des uns contre les autres, débauche des plus faibles, peu à peu, la stabilité revînt dans la région. La peur, aussi, mais au moins les rues, ou plutôt les chemins boueux devant les taudis redevenaient-ils propres, et l'on cessait de voir des marmots dépenaillés courir un peu partout, la morve au nez. Offrant des soins aux malades, nourrissant les affamés, peu à peu, on commença à se tourner vers ces nouveaux maîtres, très durs, mais paraissant un peu plus justes. Bref, ça marchait, en apparence.

L'attaque

Le fait que le Commandeur regarde, à deux toises de lui, les yeux du prévôt, occupant à peu près la même position lui prouvait le contraire. Les bandits venaient de frapper fort, et le laxisme n'apparaissait pas comme totalement vain au sein de la forteresse. Une vieille ruse, tortue bête, des pèlerins qui étaient entrés par la grande porte, dissimulant des armes sous leurs longues chapes. Molestant rapidement la sentinelle et pénétrant dans les lieux, le carnage avait rapidement commencé. Les frères et les soeurs se trouvaient en partie au réfectoire, pour une autre à la prière, et seuls quelques-uns portaient habité et bran. Cela ne les empêcha pas de contre-attaquer lestement, et Adréland, alors équipé, de mener les siens alors que l'on sonnait l'alerte. Les civils se faisaient joyeusement massacrer, ayant bien dû mal à opposer fourches et faux aux plastrons, haches d'armes et broignes de leurs adversaires. Pourtant, rien n'était perdu, passé la surprise, les Pardonneurs restaient d'excellents combattants, et tous ceux s'étant saisis d'une lame commencèrent à méhaigner une adversité les ayant sous-estimé.

Une boule de neige, ou plutôt un voile détourna l'attention de la grande brute un instant. Un vieux truc qu'Alphonse avait pratiqué lors d'un voyage dans l'archipel Kraësick, avec du sable. Cela pouvait parfaitement fonctionner dans les tavernes, dont le sol se recouvrait souvent de sciure ou de joncs. L'agresseur recula d'un pas, alors qu'Adrélans roulait sur lui-même afin de ramasser son épée et de se mettre en garde. La lutte, apparemment, ne faisait que commencer pour les deux ferrailleurs.